Des grains de sable dans la machine Parcoursup


Un petit changement, pour la forme. Le tableau de bord permettant de suivre, jour après jour, l’application de la réforme d’accès au supérieur a changé. La colonne «candidats n’ayant pas encore reçu de proposition» s’appelle désormais «candidats qui souhaitent s’inscrire dans l’enseignement supérieur via Parcoursup». Interdit de sourire. Le ministère de l’Enseignement supérieur en a plein le dos de ces articles de presse «qui relèvent du commentaire politique alors qu’objectivement, le nouveau système Parcoursup fonctionne très bien, conforme aux prévisions». Tout de même. La machine semble grippée. Peut-être encore davantage que du temps de l’ancien système Admission post-bac (APB, lire l’encadré plus bas).

Sur les 812 000 élèves inscrits lors du démarrage sur la plateforme, seule une grosse moitié (467 000) a validé définitivement une proposition et sait donc où aller en septembre. Pour les autres, à des degrés divers, c’est encore le flou. 145 000 candidats ont pris la poudre d’escampette : ils ont abandonné la procédure (on était dans le même ordre de grandeur sous APB). Ensuite, 55 000 ne donnent plus signe de vie : pas un seul clic. Ces «candidats fantômes» inquiètent en haut lieu. Enfin, il y a cette catégorie qui n’existait pas du temps d’APB et qui fait aussi aujourd’hui tourner en bourrique les services du ministère (quoi qu’ils en disent) : il s’agit de ceux qui ont une proposition mais conservent, sous le coude, un ou plusieurs vœux en attente au cas où une place viendrait à se libérer. Jeudi, ils étaient 127 263 dans cette situation et «ce stock» d’élèves diminue lentement…

Avec des répercussions en cascade. A tous les niveaux, de l’université jusqu’aux classes prépas les plus élitistes, la plupart des promos ne sont toujours pas constituées. Les inscriptions administratives ont pris du retard par rapport à l’année dernière, annonçant une rentrée de septembre rock’n’roll. Mais qui sont donc ces élèves en attente qui gripperaient le système ? Revue des possibles.

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L’hypothèse du vœu de secours et la prime à l’attente

Première possibilité, ces quelque 130 000 élèves ont accepté une place dans une formation où ils ne veulent pas aller. Et attendraient donc fébrilement qu’une place se libère ailleurs… Ce qui voudrait dire qu’ils ont formulé en amont un vœu qu’ils ne voulaient pas du tout ? Est-ce crédible ? Oui, car cet hiver, beaucoup de profs de lycée, inquiets du nouveau système, ont insisté pour que leurs élèves formulent au moins «un vœu de secours» dans une filière peu demandée, pour ne pas se retrouver «sans rien» en septembre.

Problème : tous les élèves ne peuvent pas se permettre d’attendre. C’est ce qui chiffonne le plus Simon, prof de maths dans une prépa de l’est de la France : «Quand l’élève doit trouver un logement par exemple : toutes les familles n’ont pas les moyens financiers pour s’y prendre au dernier moment et payer le prix fort. Qui a le choix d’attendre jusqu’au bout ? Les plus aisés, c’est une évidence.» D’autant plus avantagés, estime-t-il, qu’ils bénéficieront d’un «effet d’aubaine». A la fin de la procédure, parie Simon, les élèves qui auront pu attendre, et même ceux en bas des classements, pourraient remonter en flèche et décrocher une place dans une formation prisée.

La théorie du collectionneur

C’est une hypothèse qui circule, notamment dans les couloirs du ministère. «La fameuse théorie du collectionneur, ça ne vous dit rien ?» commence un prof de prépa du lycée Kerichen à Brest. A l’en croire, ces élèves qui se gardent un vœu sous le coude auraient en réalité un choix déjà arrêté dans leur tête. «Ils savent où ils iront à la rentrée mais conservent des vœux en attente « pour voir ». Et pour s’enorgueillir ensuite : « Si j’avais voulu, j’aurais pu aller là ».» Cette hypothèse serait d’autant plus plausible, dit-il, chez les élèves de milieux favorisés : «Ils s’autocensurent moins que les autres et osent des choix assez audacieux qu’ils maintiennent.» Yann Garandel, enseignant-chercheur en anglais à Paris XIII et qui a une «parcoursupienne» à la maison, a une hypothèse un peu similaire : «Pour moi, certains jeunes se gardent un vœu un peu comme un ticket de loto. Pour laisser une petite place au hasard ou aux rencontres de l’été.»

L’autoblocage et la tentative de déstabilisation

C’était le jeudi 12 juillet, en pleine Coupe du monde. Claire Mathieu, une pointure en algorithmes (directrice de recherches au CNRS et chargée de mission auprès du ministère depuis novembre sur Parcoursup), se met à écrire sur Twitter : «Si le candidat A a accepté un vœu d’une formation F1 en maintenant son vœu pour F2 en attente, et que le candidat B a accepté un vœu d’une formation F2 en maintenant son vœu pour F1 en attente, il ne se passera rien de plus.» Dit autrement : Jean-Paul a une place dans la formation dont rêve Jean-Jacques qui, lui, est accepté là où Jean-Paul a toujours voulu aller. Auto-blocage, c’est ballot. Fin de l’histoire. «Les formations F1 et F2 ont fini de recruter. Elles ont fini mais elles ne savent pas qu’elles ont fini», écrit la chercheuse. Est-ce pour faire bouger les lignes que le ministère a publié le «taux de remplissage» ?

Ce 12 juillet, quelques heures avant, les élèves avaient découvert sur la plateforme ce nouvel indicateur : le taux de remplissage de chacune des formations, défini comme le «pourcentage de candidats ayant accepté la proposition»… Oscillant entre 95 % et 100 % à chaque fois. Voyant ça, une partie des élèves ont abandonné leurs vœux en attente, croyant n’avoir plus aucune chance d’être pris… Avant d’apprendre via le compte officiel de Parcoursup sur Twitter : «Bonjour, cette info correspond au pourcentage de candidats qui ont accepté définitivement la formation ou qui l’ont acceptée en maintenant des vœux en attente.» Un indicateur qui ne donne que peu d’informations, donc… Accusé d’avoir voulu déstabiliser les élèves, le ministère se défend : «On est dans la transparence depuis le début, on avait annoncé en amont qu’on publierait les taux de remplissage après les résultats du bac. C’est ce que nous avons fait.» Et comment expliquer cette augmentation subite des capacités d’accueil dans une partie des facs ? «Il y a toujours 10 % environ d’absents à la rentrée, c’est simplement pour anticiper cela qu’on augmente artificiellement le nombre de places. D’habitude, on le fait en septembre, là on s’y prend plus tôt», répond le ministère, qui répète avec assurance que «tout se passe comme prévu».

En classes prépas, l’attente qui fait fuir

Il n’y a pas que les élèves qui sont dans l’attente. «La grande nouveauté, par rapport à APB, c’est que désormais tout le monde est dans l’attente, même nous, le corps enseignant.» François Boisson est pourtant professeur dans un établissement parisien très prisé, au lycée Charlemagne. La nouvelle promo maths sup MPSI n’est pas encore constituée : seuls 54 élèves sur 96 ont validé définitivement, les autres ont dit oui sans confirmer. Qu’attendent-ils ? Une place à Henri IV ou Louis-le-Grand, les prépas les plus prestigieuses ? C’est une hypothèse.

Vérification faite auprès de Roger Mansuy, qui exerçait jusqu’ici à Louis-le-Grand, «dans nos prépas aussi, nous avons des élèves qui n’ont toujours pas confirmé leur venue». Il poursuit : «Je ne doute pas que l’effectif sera au complet à la rentrée, mais cette situation pose malgré tout des problèmes, notamment une désorganisation dans le travail du secrétariat, qui va devoir gérer les inscriptions administratives au dernier moment.» Sur le papier pourtant, le nouveau système Parcoursup ne changeait rien dans le recrutement des filières sélectives (prépas, BTS ou IUT). Mais dans la pratique, il a des répercussions non anticipées. Les classes prépas des villes moyennes patinent dans la semoule. La semaine dernière, l’association des profs de prépas économiques et commerciales alertait dans un bref communiqué : «Les prépas dites de proximité sont loin de faire le plein.»

Mickaël Prost, de l’association des professeurs de prépas scientifiques, raconte que seuls 50 % des élèves acceptés en prépa ont confirmé leur choix. Pourquoi ? Plusieurs hypothèses là aussi, mais dans le lot, une qui stresse pour de bon les profs de prépa : que des élèves se soient découragés. «Au-delà des hypothèses de blocage, nous n’avons qu’une peur, c’est qu’avec la publication des rangs de classement, des élèves aient abandonné leur projet d’aller en prépa, craignant ne pas être à la hauteur…» A Chambéry (Savoie), la semaine dernière, un prof de prépa, inquiet de se retrouver devant une classe à moitié vide, a lancé un appel sur Twitter… pour trouver des volontaires.


Une comparaison difficile avec APB

Peut-on comparer Parcoursup avec APB ? Pas simple. D’abord, parce que l’algorithme d’affectation APB moulinait seulement trois fois, et affectait les places d’office en fonction de l’ordre de préférence pré-établi par les élèves. A l’inverse, Parcoursup tourne toutes les nuits et laisse à chaque fois le choix aux candidats. La procédure d’affectation prend forcément plus de temps. Si l’on s’en tient aux candidats n’ayant aucune proposition et toujours «actifs sur la plateforme» (montrant des signes de vie), mercredi, ils étaient 17 999, contre 7 811 deux ans plus tôt. Pour l’année 2017, cet indicateur n’a pas été rendu public : le ministère préférant en pleine polémique sur APB communiquer sur le chiffre mêlant les candidats actifs et inactifs, plus touffu. Même à la fin de la procédure, il restera compliqué de comparer les deux systèmes : on ne pourra pas évaluer le niveau de satisfaction des élèves par exemple, vu que cette année les vœux ne sont pas classés. Comment savoir s’ils sont là où ils voulaient vraiment aller ?

Marie Piquemal

 

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