Parlez-vous allemand ?

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©Barbara Dziadosz pour les Echos Week-End 

La suppression – finalement remise en cause – des classes bilangues a failli porter un coup fatal à l’enseignement de l’allemand en France. Jugée parfois peu attractive et élitiste, la langue de Goethe a pourtant de nombreux atouts à faire valoir, notamment sur le marché du travail.

« Alors, qu’est-ce que vous avez compris ? » interroge Lena Tröger, animatrice du programme Mobiklasse, après s’être présentée en allemand devant une petite vingtaine d’élèves de CM2 de l’école Jean Sarrailh de Saint-Gratien, dans le Val d’Oise. « Vous êtes née en Écosse ! » lui répond un élève. Rires dans la salle. « Non, à Bayern », corrige un autre. « Oui. Et c’est quoi Bayern ? » demande Lena. « Bayern… Munich… C’est un club de football ! » s’exclame avec enthousiasme un élève. « Oui, mais encore ? » réplique l’animatrice. « C’est une région », tente un autre. « Voilà ! Bayern ist eine Region. L’Allemagne compte seize régions et la plus grande est la Bavière. München en est la ville principale, c’est pour ça que le club de football s’appelle Bayern München », explique gentiment Lena.

Cette jeune femme est l’une des onze animateurs et animatrices du programme Mobiklasse pour l’année 2016-17, répartis dans autant d’académies françaises et chargés de promouvoir leur langue dans les écoles. En ce jour de juin, elle a une heure pour offrir aux élèves un aperçu ludique de la langue et de la culture allemandes. Profitant de l’irruption du Bayern dans la conversation, elle leur enseigne comment on dit football dans sa langue maternelle (Fußball, de Fuß, le pied et Ball, la balle). Et de là, quelle est cette étrange lettre nommée eszett. Originaire d’Erlangen, elle évoque Adidas et Puma, rappelant que ces marques fondées par les frères Dassler sont allemandes. Les enfants comprennent vite la logique de construction de la langue de Goethe. Quand Lena leur demande comment on dit « France », l’un répond « Franceland ». « Bien réfléchi, salue l’animatrice, mais non, c’est Frankreich ! »

« L’objectif de Mobiklasse est de présenter la langue allemande sous un jour original, ludique et attractif, et de donner aux élèves envie de l’apprendre », indique Béatrice Angrand, secrétaire générale de l’Office franco-allemand pour la jeunesse. L’OFAJ a repris il y a deux ans la coordination de ce programme, qui existe depuis 2001, touche en moyenne 52 000 élèves par an et dispose de plusieurs financeurs, dont le Goethe-Institut. « C’est un outil fantastique, juge Stefan Brunner, directeur adjoint de celui de Paris, l’un des huit instituts Goethe établis en France. Il combat efficacement l’idée que « l’allemand c’est moche et c’est difficile » en présentant aux jeunes une image plaisante de cette langue. » Objectif rempli pour Lena ce jour-là : à la rentrée, la plupart de ses élèves ont rejoint la classe bilangue du collège Jean Zay de Saint-Gratien, afin d’étudier l’anglais et l’allemand dès la 6e.

C’est grâce aux classes bilangues que l’allemand a freiné son déclin, qui semblait inexorable à la fin du siècle dernier. La langue de notre plus grand voisin ne parvenait plus à résister ni à la concurrence de l’anglais en LV1, ni à celle de l’espagnol en LV2. « Proposer les deux langues en même temps a vraiment permis de relancer la machine », considère rétrospectivement Béatrice Angrand. Depuis l’extension de ce dispositif à la rentrée 2004, la proportion de collégiens et de lycéens étudiant l’allemand s’est enfin stabilisée, à 15%. C’est pourquoi la perspective de la suppression de ces classes lors de la réforme du collège de 2015 a suscité un tel tollé parmi les professeurs d’allemand et même des tensions diplomatiques entre la France et l’Allemagne.

Les dégats de la réforme

« On avait bien remonté la pente, l’image de l’allemand s’était beaucoup modernisée grâce à des méthodes pédagogiques plus vivantes. La claque a été d’autant plus dure, se souvient avec amertume Aurélia Sarrasin, professeur d’allemand. Plus de dix ans de travail ont été mis en péril au prétexte qu’on était élitiste, passéiste et inutile. » Finalement, la réforme s’assouplit et autorise le maintien de classes bilangues là où elles offrent une « continuité », c’est-à-dire là où les élèves ont eu une initiation en primaire. Malgré cela, les dégâts sont notables : à la rentrée 2016, un tiers des classes bilangues sont supprimées, avec de très grandes disparités régionales – elles ont quasiment disparu dans certaines académies -, et le nombre d’élèves étudiant l’allemand en 6e chute de 26%.

La langue de Goethe se serait bien passé de ce coup dur, elle qui souffre toujours d’être « peu attractive », comme le regrette Thérèse Clerc, présidente nationale de l’Association pour le développement de l’enseignement de l’allemand en France (ADEAF). Pourtant, souligne-t-elle, « il y a beaucoup d’arguments rationnels pour apprendre l’allemand », au premier rang desquels l’accès à des expériences de mobilité. En effet, donnez la parole à n’importe quel élève germaniste, il évoquera sans tarder les échanges scolaires. « L’allemand m’a permis de voyager », témoigne Cécile Fèvre, actuellement étudiante en médecine à Reims. « L’Allemagne est le premier pays étranger que j’ai découvert. Les échanges m’ont permis de m’ouvrir à ce qui se passait en dehors de la France », se souvient-elle.

Pour ceux qui ont l’esprit aventurier, deux programmes de mobilité individuelle offrent la possibilité de partir trois mois (Brigitte Sauzay) ou six mois (Voltaire) chez un(e) correspondant(e) allemand(e) avant de le ou la recevoir pour une durée équivalente. « C’est une belle aventure », résume Matthieu, 16 ans, rencontré cet été chez son correspondant Henk, à Neuenhagen, une commune proche de Berlin. Dans le cadre de sa scolarité Abibac – pendant laquelle les cours de littérature et d’histoire-géographie sont dispensés en allemand et qui mène à la délivrance conjointe du baccalauréat et de son équivalent allemand, l’Abitur – il devait faire un long séjour de l’autre côté du Rhin. Les différences culturelles surprennent au premier abord, mais sont vite intégrées. « En Allemagne, on mange plus tôt et le repas est un peu bâclé par rapport à la France », a ainsi remarqué Matthieu. Quitter sa famille et ses amis pendant six mois ne l’a pas trop inquiété. « C’est un saut dans l’inconnu mais les résultats sont bénéfiques », assure-t-il. Notamment sur le plan linguistique : « On progresse par paliers : beaucoup au début, puis ça stagne avant de reprendre. »

Pour en savoir plus

Apprendre : Le Goethe-Institut compte huit centres en France, dont six proposent des cours : à Paris (17, avenue d’Iéna), à Lyon (18, rue François Dauphin), à Bordeaux (35, cours de Verdun), à Toulouse (4 bis, rue Clémence Isaure), à Lille (98, rue des Stations) et à Nancy (39, rue de la Ravinelle). www.goethe.de

Voyager : L’Office franco-allemand pour la jeunesse propose des voyages d’échanges et autres programmes ciblés. www.ofaj.org

Se perfectionner : L’université franco-allemande présente sur son site tous les cursus proposés par son réseau de 186 établissements d’enseignement supérieur. www.dfh-ufa.org.

un plus sur le marché de l’emploi

Les échanges avec l’Allemagne ne sont pas uniquement réservés aux filières générales ni aux germanistes. Depuis 1980, le Secrétariat franco-allemand (SFA) finance ainsi des échanges de trois à quatre semaines – incluant un stage en entreprise de deux ou trois semaines – organisés par les lycées professionnels et technologiques et les centres de formation d’apprentis. Aux non-germanistes (la majorité), le SFA offre plusieurs solutions pour apprendre la langue en amont de l’échange. « Les retours des participants sont extrêmement positifs. On observe chez la plupart d’entre eux une ouverture d’esprit et un gain d’intérêt pour la mobilité internationale, rapporte Frédérik Stiefenhofer, délégué allemand du SFA. Avec les compétences techniques et linguistiques acquises, les participants améliorent aussi leurs chances sur le marché du travail. »

C’est là l’autre argument brandi par les promoteurs de la langue de Goethe : celle-ci représente un plus sur le marché de l’emploi. À tel point que cela façonne son nouveau statut, constate Béatrice Angrand : « Le statut de l’allemand comme langue réservée aux très bons élèves a disparu et on arrive progressivement à celui d’une langue qui fait la différence, qui est un plus dans la vie professionnelle. » Anaïs Piquet, qui vient de terminer son BTS en commerce international en sait quelque chose : l’allemand lui a déjà permis de décrocher un job d’été auprès d’un grand institut d’études de marché en Suisse. « C’est vraiment un atout sur le CV, dit la jeune femme. « J’en ai bavé avec cette langue, mais je sais qu’il ne faut pas que je décroche car je vois toutes les opportunités qu’elle offre sur le marché du travail. »

C’est particulièrement le cas dans les zones frontalières, par exemple en Alsace, où « l’allemand est à la fois la langue régionale, la langue du voisin et la langue d’accès à l’emploi », énumère Sophie Béjean, rectrice de l’académie de Strasbourg. Cette académie, qui compte le plus grand nombre d’élèves germanistes en France, expérimente depuis trois ans l’Azubi-Bacpro, l’équivalent de l’Abibac dans l’enseignement professionnel, répondant ainsi aux besoins des entreprises. « Il y a beaucoup d’emplois transfrontaliers mais aussi des entreprises situées sur notre territoire qui demandent aux jeunes qu’elles recrutent de parler allemand », explique la rectrice. Les régions frontalières ne sont toutefois pas les seules concernées et l’allemand est la deuxième langue la plus demandée sur le marché du travail en France, après l’anglais. Quelques données suffisent à comprendre pourquoi. « L’Allemagne est le premier client et le premier fournisseur, mais aussi le premier investisseur direct et créateur d’emplois en France, où elle compte plus de 3 000 filiales. Il n’existe pas en Europe deux économies de niveau comparable aussi étroitement liées », souligne Patricia Oster-Stierle, présidente de l’Université franco-allemande (UFA). Ce réseau d’établissements d’enseignement supérieur français et allemands, qui fête ses 20 ans cette année, propose 183 cursus intégrés binationaux et trinationaux.

Un tremplin professionnel

En sortent des diplômés « particulièrement ouverts sur le monde », « habitués à travailler dans un environnement biculturel » et qui « s’intègrent aisément sur le marché international du travail », dépeint Patricia Oster-Stierle. Murielle Brayard est l’une d’entre eux. « L’allemand a été un vrai tremplin, en me permettant d’accéder à deux très bonnes écoles en France et en Allemagne, estime la jeune femme de 23 ans, qui a suivi le double diplôme franco-allemand du programme CESEM, à NEOMA (Reims) et à l’ESB (Reutlingen). Je sais que c’est un plus pour les recruteurs, surtout dans mon domaine, la logistique. » Elle envisage de faire un VIE (volontariat international en entreprise) en Allemagne et note que la concurrence est moindre que pour les VIE dans des pays anglophones ou hispanophones.

Au-delà de ces arguments rationnels, la présidente de l’ADEAF Thérèse Clerc aimerait que l’allemand soit plus souvent un « choix du coeur ». Ce fut le cas pour Marion Montagnon, à qui les nombreux voyages réalisés en Allemagne et en Autriche avec ses parents avait donné l’envie d’apprendre cette langue dès la 6e. Pour cette étudiante de 18 ans engagée dans un cursus franco-allemand d’ingénieur, la langue de Goethe est toujours synonyme de « vacances » et de « passion ». Ce fut aussi un coup de coeur pour Émilie Rosier, actuellement étudiante en sciences politiques à l’IEP d’Aix-en-Provence et à l’université de Fribourg. « J’aime beaucoup cette langue, je la trouve très belle, confie la jeune femme de 22 ans, ravie de pouvoir lire la poésie allemande en version originale. L’apprentissage d’une langue ne se résume pas à l’étude de la grammaire et du vocabulaire mais permet de faire le pont vers la culture de l’autre. »

Prendre ce pont culturel, c’est incarner dans la société civile le fameux couple franco-allemand, moteur historique de la construction européenne. C’est d’ailleurs la réconciliation entre les deux pays, entamée après 1945 et scellée à travers des engagements bilatéraux pris lors du traité de l’Élysée en 1963, qui est à l’origine de cet impressionnant réseau de structures binationales (l’OFAJ, le SFA, l’UFA… mais aussi Arte). De ce fait, « l’allemand n’est pas simplement une discipline scolaire. C’est une matière politique. Tout ce qui touche à l’enseignement de cette langue est un signal politique envoyé aux Allemands », relève Thérèse Clerc. Voilà pourquoi le « rétablissement » des classes bilangues – en réalité la suppression de l’exigence de continuité – décidé par le nouveau gouvernement a été si bien perçu outre-Rhin. « C’est un signal important pour la langue allemande en France, qui incite naturellement l’Allemagne à renforcer elle aussi son implication pour l’apprentissage du français », apprécie l’ambassadeur allemand en France, Nikolaus Meyer-Landrut. Et de conclure : « Allemands et Français ont besoin de se connaître et surtout de connaître la réalité du pays partenaire d’aujourd’hui. Avec chaque nouvel apprenant de la langue de l’autre, on fait un pas vers une véritable compréhension entre la France et l’Allemagne. »

L’allemand au bout des doigts

Apprendre en ligne ou en pianotant sur son smartphone, pourquoi pas ? En France, l’allemand est la cinquième langue la plus étudiée sur la plate-forme gratuite Duolingo derrière l’anglais, l’espagnol, l’italien et… le français (à partir de l’anglais). Parmi les principaux acteurs de ce marché, on trouve aussi Babbel (tarifs dégressifs à partir de 9,95 euros par mois), qui comptabilise 1,5 million d’abonnés actifs dans le monde. Tous deux mettent l’accent sur l’acquisition de compétences de communication, via un parcours ludique découpé en petites unités chez Duolingo, des leçons par thèmes pratiques chez Babbel (« téléphoner », « lettres d’amour » , « Oktoberfest »…). La clé du succès, c’est d’être régulier, par exemple une vingtaine de minutes par jour. « C’est intuitif, très ludique, avec beaucoup d’exercices et c’est moins contraignant qu’un apprentissage classique », juge Bérengère, une utilisatrice de 33 ans. « C’est juste un peu léger au niveau grammaire », regrette-t-elle.

 
 

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