Péril en la demeure

 

Confrontées à la progression des associations indépendantes de parents d’élèves, les quatre grandes fédérations et associations en Alsace, FCPE, PEEP, Unaape et Apepa, ne veulent pas se retrouver au piquet.

En recueillant plus de 60 % des voix dans le premier degré dans l’ensemble de l’académie de Strasbourg, lors des élections d’octobre 2017, les listes non constituées en association de parents d’élèves ou non affiliées occupent les premières places dans les conseils d’écoles. Mais leur pouvoir de représentation ne dépasse pas les murs de l’enceinte scolaire, contrairement aux quatre grandes fédérations et associations de parents d’élèves.

Souvent concurrentes sur le terrain, la FCPE, la PEEP, l’Unaape et l’Apepa font aujourd’hui bloc pour défendre leur rôle primordial de représentants des parents d’élèves auprès des pouvoirs publics. « Les associations de parents d’élèves doivent faire entendre la voix des parents à tous les niveaux, en premier lieu dans les conseils d’écoles et dans les conseils d’administration en collège et au lycée », explique Claudio Fazio, secrétaire départemental de la FCPE du Bas-Rhin. Mais les représentants des fédérations et associations de parents d’élèves reconnues par les pouvoirs publics siègent également « dans les CDEN (Conseil départemental de l’Éducation nationale), où l’on débat des ouvertures et des fermetures de classes, dans les CAEN (Conseil académique de l’Éducation nationale) et au niveau national, au sein du Conseil supérieur de l’éducation ».

Un rôle de contre-pouvoir

« Les listes locales sont indépendantes de tout et surtout de rien. Je préfère encore que les parents votent pour une association concurrente plutôt que pour des listes locales », avoue Thierry Loth, président de l’Apepa : « Nous sommes dans un rapport de force avec les autorités et les associations reconnues représentent un contre-pouvoir. Nous avons les contacts. C’est à nous de gérer les relations avec l’Éducation nationale. Nous pouvons faire infléchir la politique des langues de l’Éducation nationale en Alsace, ou bien encore la politique des collectivités territoriales ».

« C’est grâce aux efforts des fédérations qu’il existe des élections de parents d’élèves. Les droits acquis, la reconnaissance de légitimité, sont le fruit du travail des fédérations », rappelle Juliette Staraselski, présidente de la PEEP Alsace. Mais aujourd’hui, les représentants des fédérations de parents d’élèves constatent que les doléances vis-à-vis des corps intermédiaires sont de plus en plus grandes. « Les gens se détournent des fédérations avec le sentiment qu’elles ne sont pas entendues par les autorités », déplore Xavier Schneider, président de la FCPE du Bas-Rhin. Avant de dénoncer une montée de l’individualisme. « L’important est la réussite de son enfant. Les parents défendent leur enfant avant le groupe ». Thierry Loth résume la situation en distinguant trois types de parents : « Il y a ceux qui sont concernés par l’environnement de leur enfant à l’école. Ceux qui veulent se présenter pour savoir ce qui passe dans l’école de leur enfant et ceux qui veulent rejoindre une association de parents d’élèves pour avoir une reconnaissance au niveau académique ».

L’utilité des fédérations et des grandes associations est cependant reconnue… en cas de besoin. « Quand les parents d’élèves ont un problème, ils appellent les fédérations, mais ce n’est pas pour autant qu’ils vont adhérer à la FCPE », regrette Xavier Schneider. « Nous sommes transformés en produits de consommation courante », ajoute Florence Claudepierre, présidente de la FCPE du Haut-Rhin. « Trop de parents recherchent juste les bénéfices du système, sans s’investir. Et au bout du compte, les bénévoles, les personnes moteurs des associations prennent des engagements supérieurs à ce qu’ils devraient », analyse Daniel Altmeyer, président de l’Unaape Alsace et délégué régional Grand Est.

Des situations parfois conflictuelles

Si les directeurs d’école et chefs d’établissement ont plutôt de bons rapports avec les associations de parents d’élèves reconnues, les relations peuvent aussi être compliquées, voire conflictuelles. « Les droits de ces associations d’être informées et de pouvoir informer les parents ne sont pas toujours respectés », souligne Juliette Staraselski. « On ne donne pas la priorité aux fédérations de parents d’élèves. Les fédérations, qui sont reconnues d’utilité publique, devraient avoir accès à l’ensemble des adresses et des numéros de téléphone des parents qui ont donné leur autorisation. Mais lorsque nous les demandons, c’est un refus quasi systématique. Il est même parfois difficile de se faire communiquer les dates des réunions de rentrée », dénonce la présidente de la PEEP Alsace, qui a également remarqué que « des directeurs d’école ne veulent pas de listes concurrentes lorsqu’une liste est déjà bien implantée ». « Si dans les petites communes nous faisons du très bon travail avec certains directeurs, nous avons souvent l’équipe du directeur ou celle de la mairie qui est déjà en place », remarque à son tour Daniel Altmeyer (Lire page suivante). « Nous avons des écoles où la directrice recrute ses parents d’élèves. Elle a l’impression que c’est son équipe », poursuit le président de l’Apepa. « Mais qu’est-ce que l’on attend des parents d’élèves ? Doivent-ils être ceux qui organisent la fête de l’école ou ceux qui participent à un vrai travail collaboratif ? ».

Les fédérations s’interrogent aussi sur la volonté du rectorat et du gouvernement de défendre la représentativité des associations de parents d’élèves. « Le constat d’un manque de formation des parents est réel, mais lorsqu’une réflexion est engagée par le rectorat sur cette problématique, on ne pense pas à nous prévenir », se souvient la présidente de la PEEP Alsace qui avait finalement pu participer à cette réflexion. « Nous ne sommes pas entendus au niveau régional et difficilement au niveau national », déplore également la présidente de la FCPE du Haut-Rhin.

« Il faut se réinventer »

Tout n’est pas perdu pour autant. Si des associations de parents d’élèves disparaissent au fil des élections, ou après le départ d’une équipe moteur, d’autres voient le jour. « La participation aux élections dépend beaucoup des situations locales, de l’engagement des équipes de parents intéressés par les questions éducatives. Il faut faire campagne, en faisant un gros effort d’information dès la maternelle », recommande Claudio Fazio. « Dans le premier degré, il existe encore une relation de proximité entre l’école et les parents qui sont impliqués dans la vie de l’école, notamment en milieu rural où l’école représente un symbole fort dans la vie de la commune ». Les liens très forts, que les parents ont pu nouer en accompagnant leurs enfants à l’école, vont cependant se détacher au fur et à mesure que les élèves avancent dans leur scolarité, au collège puis au lycée. « En première puis en terminale, les parents sont surtout tournés vers l’orientation, les études supérieures » remarque le représentant de la FCPE. L’avenir des grandes associations et fédérations de parents d’élèves passe par une reconquête du primaire. « Il faut montrer aux parents l’utilité du bénévolat, de la représentation. Il faut se réinventer, évoluer, mais jamais sans l’aval des écoles ».

Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) ; Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public (PEEP) ; Union nationale des associations autonomes de parents d’élèves (Unaape) ; Association des parents d’élèves de l’enseignement public en Alsace (Apepa) : association régionale

En nombre d’adhérents

Première fédération nationale, la FCPE compte 10 000 adhérents en Alsace (6 000 dans le Bas-Rhin et 4 000 dans le Haut-Rhin). La PEEP en rassemble moins de 2000 en Alsace, l’Apepa 1 200 et l’Unaape près de 500. Chiffres communiqués par les associations.

Coupées des zones d’éducation prioritaires

« Si les parents votent moins dans les écoles et les collèges où tout va bien, ils ne votent pas plus dans les collèges et lycées qui ont beaucoup de problèmes, car ils n’ont pas compris le rôle des associations de parents d’élèves », regrette Claudio Fazio, secrétaire départemental de la FCPE du Bas-Rhin, avant de reconnaître la part de responsabilité des fédérations de parents d’élèves qui n’ont pas su s’implanter dans les zones d’éducation prioritaire. « Petit à petit, on s’est coupé de cette population. L’école est synonyme d’échec et il est compliqué de faire venir les parents aux réunions. Nous ne sommes pas bons sur la représentation de la diversité des parents. Dans la voie professionnelle, c’est également très compliqué d’être présent. Plus nous descendons dans les catégories sociales, moins nous sommes représentés alors que c’est dans ces familles que les besoins sont les plus grands ». Un constat partagé par la présidente de la FCPE, Juliette Staraselski : « Nous n’avons pas assez occupé le terrain. Les associations locales ont pris les devants, parfois avec le soutien des centres socioculturels, et il est très compliqué de réinvestir le terrain alors que nous n’avons pas les traducteurs pour aller à la rencontre des parents, pour les mettre en confiance, pour les aider. Pourtant, nous avons la connaissance pour les former, pour les rendre plus actifs, plus autonomes, pour les informés sur leurs droits et leurs devoirs. Travailler avec les parents est primordial pour la réussite des enfants, il faut qu’ils soient investis dans l’école ».

Enseignement libre : une seule association

Dans le secteur privé, les parents d’élèves ne peuvent être représentés que par l’APEL (Association de parents d’élèves de l’enseignement libre). « L’idée est de porter la voix de tous les parents avec leur diversité », explique Gwenaëlle Deschler-Dutay, présidente de l’APEL académique d’Alsace. Le taux d’adhésion des parents est de 95 % dans notre académie, soit un total de 21 382 adhérents. Si dans le primaire « les parents sont très investis dans la vie de l’école », indique Gwenaëlle Deschler-Dutay, ainsi qu’en 6e où « il existe une nouvelle dynamique », il est « un peu plus difficile de mobiliser les parents en lycée ». Même si cela dépend des établissements. Il est ainsi « très compliqué de les mobiliser en lycée professionnel, les élèves ayant déjà choisi leur voie ». Un constat très proche de celui fait dans le secteur public.

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