Entretien avec le médiateur de l’académie

« Aimez vos élèves »

Les élèves obéissent moins et souffrent plus, les relations parents-profs se dégradent, le métier se corse. Face à ce bilan, le médiateur académique de Strasbourg propose un surcroît d’humanité.

Dans le bureau de Paul Muller, le médiateur académique de Strasbourg, une affiche résume le changement radical des relations entre parents, profs et élèves. Deux images montrent, à l’identique, une maîtresse, un enfant et ses parents courroucés. Dans la première, datant des années 70, les parents invectivent leur fils : « Qu’est-ce que c’est que ces notes ? ! ». Dans la seconde, actuelle, c’est à l’enseignante qu’ils font ce reproche.

« Il ne faut pas généraliser », tempère en souriant Paul Muller, retraité de l’éducation nationale, qui assume cette fonction de médiateur depuis neuf ans et vient de publier son bilan 2014. En huit ans, les saisines du médiateur ont été multipliées par trois. Peut-être parce que son existence est mieux connue, avance-t-il, mais indéniablement aussi parce que le climat scolaire s’assombrit.

« C’est combien, Monsieur, pour que ma fille réussisse ? »

L’inquiétude des parents grandit et les crispe, les conflits entre profs et élèves deviennent plus nombreux et plus intenses. « À l’heure actuelle, le métier des enseignants est de plus en plus difficile », assure-t-il. « Du fait de l’ambiance familiale, affective, économique, les élèves souffrent plus, et ils sont globalement moins obéissants. »

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Pour autant, Paul Muller n’accuse personne. « La population en face des enseignants a davantage besoin d’humanité. » Pour lui, la compétence humaine d’un prof prend aujourd’hui le pas sur la maîtrise de sa discipline et la pédagogie. C’est ce qui manquait à un brillant enseignant de lettres d’un lycée strasbourgeois, qui se faisait menacer de mort. « Quand il arrivait, ses élèves voyaient qu’il les prenait pour des imbéciles. »

« Aimez vos élèves : à l’école normale, je n’ai jamais entendu ça, ça ne figure nulle part. Et pourtant, vous pouvez être exigeant avec eux quand ils sentent que vous les aimez. »

Attention aux petits mots dévastateurs

Attention aux petits mots dévastateurs, qui restent des années après, comme « tu n’arriveras jamais à rien », ou « tu es nul ». Alors que « quand on dit à un élève en difficulté : « tu es capable », c’est le bonheur. Il n’y a pas d’enfant qui n’ait pas de qualité. Tout le monde ne sera pas énarque, mais il faut leur faire confiance. » Aux parents, il conseille aussi la confiance, cette fois envers l’équipe enseignante. « Vous, vous connaissez votre enfant à la maison, mais vous ne savez pas exactement comment il se comporte et ce qu’il fait à l’école. Allez, gentiment, respectueusement, demander conseil au lieu de dire : on a puni mon enfant et il n’a rien fait. »

« Les parents manquent de temps aussi pour leurs enfants, c’est une réalité sociale avec laquelle il faut composer. » Il cite comme exemple cette mère, persuadée que le prof d’EPS maltraite son fils – il lui aurait mangé son sandwich. Et qui après avoir appliqué les conseils du médiateur (à commencer par le dialogue avec le prof), rappelle quinze jours plus tard pour dire : « Excusez-moi, en fait mon petit me roule dans la farine. »

Aux chefs d’établissement, que Paul Muller considère comme « les premiers médiateurs de l’académie », de faire vivre ce climat de confiance et de dialogue. Avec l’autorité, la vraie. « Ce charisme, cette confiance en soi, cette capacité d’élever autrui… »

DNA du 16/03/2015

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