Le B2i est-il une nécessité ?

Au moment où l’on parle de la refondation de l’école pour en tirer un bilan global, on ne peut que s’étonner de la disparition du B2i alors que l’insistance sur le numérique semble être une priorité du gouvernement. En effet si le B2i peut être discutable, et l’on sait qu’il l’a été au cours de ses 15 années d’existence, il n’en reste pas moins que ce référentiel (et son application) qu’il soit actualisé, renommé ou non, est une nécessité. Pourquoi, parce qu’il est indispensable de fournir des repères aux enseignants, aux équipes, au-delà des programmes des disciplines ou des recommandations floues, voir des enseignements d’option. C’est le chaînon manquant de la politique numérique du ministère.

De bonnes raisons de ne pas s’emparer du B2i

Amusant, l’article du site l’Etudiant qui semble découvrir la fin du B2i. Amusant parce que tous ceux qui se sont penché sur ce dispositif savent bien que de nombreuses difficultés ont amené petit à petit à « laisser tomber » le B2i et que ce n’est pas un scoop…  Nous avons eu l’occasion de signaler que dans le nouveau socle il y avait de nombreux ingrédients d’une certification de ce type. Certes revendiquer aujourd’hui le B2i c’est agiter un chiffon rouge aux yeux de tous ceux qui s’en sont moqué. Alors que, pour une fois, le ministère en novembre 2000 proposait un cadre de référence, nombreux sont ceux qui se sont empressé de le dénigrer et d’en empêcher la mise en oeuvre, parfois au coeur même de l’institution scolaire et de ses structures académiques, voir nationales. Il faut reconnaître les faiblesses du dispositif, mais il faut aussi reconnaître ses forces. Et en particulier sa force politique : donner un place au numérique et donc dans l’espace scolaire et dans ce qui constitue le coeur même de la mission de l’école à savoir l’accès de tous aux moyens d’information et de communication.

Entre ceux qui ont attaqué le B2i parce qu’il n’était pas assez informatique, ou ceux qui considéraient qu’il était trop compétences ou encore pas assez matériel etc. chacun en a profité pour trouver une bonne raison de ne pas s’en emparer. Pendant ce temps (rappelons que c’est en 2000 qu’il a été créé), la société a rappelé à l’ordre l’école en lui faisant un « pied de nez » : les familles se sont équipées. En quinze années, le monde scolaire se retrouve marginalisé, à la recherche d’un souffle, mais pas d’une politique de fond. Et pendant ce temps-là le numérique transforme la vie sociale. Et pendant ce temps-là on continue de discuter de technique alors que c’est de culture qu’il s’agit. Pas de culture numérique, non ça n’existe pas, mais de culture humaine, à savoir ce qui fait société. Pendant quinze années, on a pu assister aux atermoiements politiques sur le C2i, le C2I niveau 2 (C2i2e), sur le B2i lycée… En tout cas rien de décisif, mais toujours de l’allusif, du facultatif.

Une disparition qui ne fait pas de vague

Fort heureusement il y a des initiatives multiples qui tentent de remédier. Mais elles sont anarchiques, dans tous les sens du terme. Elles vont des innovations, parfois les plus étonnantes, aux tentatives d’invasion des grandes sociétés commerciales du secteur. Pendant ce temps-là, les philosophes et autres commentateurs « autorisés », ont commis leurs discours sans vraiment se soucier du problème de fond qu’est la place d’un système scolaire face aux transformations de la société. Il faut dire que le discours philosophique peut avoir des facilités du fait de la distance qu’il s’impose avec le réel. Mais comme le signale Dominique Boullier dans son ouvrage  « Sociologie du numérique » (Armand Colin – 2016), impossible de se tenir éloigner de cet objet qui touche la société pour pouvoir en parler. A l’instar de Bruno Latour et quelques autres, il montre un chemin essentiel pour s’autoriser, celui de l’immersion (insider).

Ainsi la vie du B2i est-elle à l’image de ces discours : un objet dont peu nombreux sont ceux qui s’en sont réellement emparé au quotidien (et je leur rends hommage ici, car j’en ai croisés plusieurs). Du coup sa disparition ne fait bien sûr aucune vague. Ce qui par contre pourrait en faire ce serait l’arrivée d’une nouvelle initiative. Des groupes d’universitaires se sont réunis cet hiver à propos du C2i, d’autres ont évoqué, avec l’Europe, la nécessité de relancer quelque chose. Mais à ce jour, rien ne semble apparaître, hormis l’annonce dans la circulaire de rentrée d’une certification qui irait du primaire au supérieur. D’ailleurs certains le déplorent sur les listes de diffusion. Mais ils restent encore très marginaux. Car depuis ces quinze dernières années, deux causes ont gagné du crédit : celle du code et celle de l’Education aux Médias et à l’Information (EMI). Or ces deux causes se mettent en concurrence avec ce qui était le B2i.

Quelle place pour les usages sociaux dans l’Ecole ?

Et c’est en particulier l’usage qui pose question. Or il faut examiner ce point avec attention. Le B2i a consacré la prise en compte des usages sociaux dans le monde scolaire. Ce faisant il s’inscrivait dans une ligne historique de pédagogues qui ont tous remarqué que l’élitisme se fondait justement sur la négation de certains usages au profit d’autres. Et ces autres usages étaient bien sûr considérés différemment, de manière noble, car ils constituaient ceux de l’élite de la société. En d’autres termes, la guerre des usages peut s’inscrire dans le champ d’une sorte de lutte des classes. En niant les acquis de compétences des jeunes, l’école marginalise une partie de ce qui fait l’humain en société du fait du numérique. Cela ne dérange pas ceux qui peuvent compenser chez eux, mais cela marginalise davantage les autres. Les usages font peur, pourrait-on dire. La distance que propose l’école est celle qui devrait permettre de relire et relier l’usage pour le dominer. Au contraire, avec l’histoire de la scolarisation, une distance de plus en plus grande est devenue perceptible. D’abord parce que de nouveaux élèves sont venus à l’école (cf. l’évolution de la scolarité de 1950 à 2000); ensuite parce que les disciplines scolaires ont effectué un repli sur soi, définissant jalousement leurs territoires plutôt que la réalité de l’incarnation des savoirs qu’elles portaient; enfin par l’écart imposé aux enseignants dans l’universitarisation forte de la formation initiale qui a confondu la légitime reconnaissance avec la mise à distance. On peut analyser ce dernier point en travaillant auprès des ESPE pour analyser la place réelle donnée aux moyens numériques dans la formation des enseignants.

Arrivé à ce point de notre analyse, il faut envisager l’avenir. L’avènement d’une nouvelle certification (annoncée dans la circulaire de rentrée) devrait être l’occasion de lancer une réflexion collective. La tentative de la DNE, il y a trois ans, de mettre en mouvement de réflexion sur le numérique le monde scolaire n’a pas connu l’écho au-delà des cercles habituellement concernés. Mais surtout elle n’a pas débouché sur une réelle prise de position pédagogique, pourtant portée à l’époque par la direction du numérique. Un plan « magique » annoncé en juillet 2014 a suffi à éteindre les initiatives et l’avènement d’une « politique pédagogique » du numérique. Les derniers textes et interviews du ministère ne font que confirmer cette limite, cette absence. Certes il faut des machines, des infrastructures, de la formation, mais il faut aussi des usages… ordinaires, et on est encore loin du compte…

Bruno Devauchelle

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