20 sur 20 en laïcité

« Au début, je ne pensais pas que ça allait me plaire, avoue Ozan. En fait, j’aime qu’on parle de tout. Il n’y a pas de tabou. » Au lycée Marcel-Rudloff, dans la banlieue strasbourgeoise (quartier des Poteries), l’heure hebdomadaire de cours d’éveil culturel et religieux (ECR) s’impose à tous pendant le premier mois de la seconde, le temps que les élèves découvrent la matière. Puis ils peuvent, comme un cours de religion classique, demander une dispense.

Ceux qui font le choix de rester se montrent assidus et enthousiastes. Pour Aysegul, c’est « mieux qu’un cours ». « Chacun donne son avis et tout le monde s’écoute », apprécie Guillaume. Surtout que, et Benjamin le déplore, « dans la classe, il y a toujours un écart entre musulmans et non-musulmans. Pour moi, c’est un peu comme la ségrégation… »

Dans la seconde de Lara, cette année, les opinions étaient « plus que variées, voire parfois avariées », notamment au moment de Charlie. « Ce qui est bien, c’est qu’ici c’est encadré, donc on peut se permettre de débattre », apprécie celle qui n’a pas seulement le prénom de Lara Croft mais aussi son look.

Avec son collier clouté, ses bas résille et ses rangers, elle était prise pour une sataniste par les musulmanes voilées de sa classe. Elles ont compris que « c’est juste que je ne crois pas, mais je ne fais pas de rituels chez moi ! », rit la brunette.

Elle-même pensait que ses camarades étaient mariées en bas âge et elle se demandait si elles étaient « vraiment heureuses de vivre comme ça, avec autant d’interdits ». Aujourd’hui, elle déclare : « Le voile, je sais que c’est un choix qu’elles font. »

Il faut dire que c’est LA question récurrente dans les débats cette année. « Moi, je suis afghane, raconte Anaïs. Je suis révoltée par ce qui se passe dans mon pays. En France, j’ai une autre place en tant que fille. En cours, on a étudié les voiles dans différents pays. Il y a aussi des garçons qui s’y intéressaient, ça m’a fait plaisir. »

« La laïcité n’est pas un problème, c’est une solution ! »

« Les profs sont très cultivés », admirent les élèves d’ECR. Christine Schroeder est pasteure, Piotr Kuberski et Jean Devriendt sont universitaires, docteurs en sciences religieuses – le premier, spécialiste des rites funéraires, et le second, de la mystique médiévale.

Le cours de seconde commence par une trentaine de symboles dont les jeunes doivent déceler si ce sont des signes religieux. « On se rend compte qu’on n’y connaît pas grand-chose », se souvient Léa, en terminale. « Comment on va faire pour appliquer la loi, s’il n’y a pas de connaissances ? », leur demande alors malicieusement le prof. Et c’est parti. « La laïcité n’est pas un problème, c’est une solution ! », martèle Jean. « La louange des uns est le blasphème des autres », rappelle-t-il.

Au fil de l’année, les sujets qui s’invitent en cours épousent l’actualité ou les préoccupations des jeunes : l’euthanasie, le don d’organe, la sexualité, les salles de shoot, les tatouages, l’existence des fantômes… « Le paranormal, ça nous fait toujours deux ou trois séances, lâche Jean en souriant. Beaucoup de mômes croyants ont la trouille du diable, du jugement. »

« On s’efforce toujours de ne pas donner notre opinion », expliquent les profs, qui rappellent la loi, encadrent le débat entre les jeunes, et le décentrent du seul islam pour une meilleure efficacité. « On fait le tour du monde. On remplace les fantasmes par des connaissances. » Et il y a du travail.

Darwin, les Illuminati et la Palestine

Il y a ces jeunes de CAP qui, même après plusieurs séances, restent persuadés que le monde est gouverné par les Illuminati. Ou cet élève de seconde qui dit un jour : « J’ai déjà une religion, je ne suis pas obligé de croire à Darwin. » Ou bien une autre, qui évoque le « génocide palestinien ». « Je suis assez soucieux par tous les propos antisémites qu’on a entendus cette année », s’inquiète aussi Piotr.

Les élèves de première préparent un repas que n’importe quel croyant pourra partager – et apprennent que le porc est un animal sacré pour les Celtes. Les lycéens bûchent aussi sur le réquisitoire et la défense du procès de Nuremberg. « À la fin de l’année, quand ils ont à condamner le nazisme, ils ont un discours réfléchi. »

« Jésus, avec sa bonne tête d’arabe »

À Noël, ils établissent le passeport de Jésus, « avec sa bonne tête d’arabe », cligne de l’œil Jean. Ils mettent en parallèle le conflit israélo-palestinien avec celui du Cachemire et du Pakistan. Ils découvrent la culture géorgienne « pour éviter que la Géorgie soit associée à la mafia ».

« Si chrétien donne christianisme, alors pourquoi islam donne islamisme, avec un sens péjoratif ? », s’interrogent encore certains élèves. Difficile aussi pour eux de faire la différence entre un athée et un agnostique.

« Non, nous n’avons pas de baguette magique : l’obscurantisme est bel et bien là. Il y a une espèce d’auto-instruction entre les élèves, qui sont complètement embobinés par des vidéos sur internet et des prédicateurs de quartier de plus en plus actifs », reconnaît Jean Devriendt.

Pour lutter contre Youtube, ils leur donnent des sites « valides » comme intratext pour la traduction du Coran ou celui de la mosquée de Paris. Piotr Kuberski hoche la tête : « On ne peut pas rester sans rien faire. »

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