Jacques-Pierre Gougeon (recteur de Strasbourg) : « Je veux que 30% des bacs pro entrent en BTS en 2016 »

Jacques-Pierre Gougeon, recteur de l'académie de Strasbourg. © Rectorat de Strasbourg Jacques-Pierre Gougeon, recteur de l’académie de Strasbourg. © Rectorat de Strasbourg

Recteur de l’académie de Strasbourg et chancelier des universités d’Alsace depuis octobre 2013, Jacques-Pierre Gougeon était auparavant conseiller spécial du Premier ministre. Germaniste, cet ancien conseiller culturel près l’ambassade de France à Berlin s’emploie à développer le bilinguisme dès le plus jeune âge en Alsace. Et compte également élever le taux d’accès des jeunes de la région aux études postbac. Entretien.

Quelles sont les particularités de l’académie de Strasbourg ?

II y a une vraie contradiction dans cette académie. Elle a, d’une part, des laboratoires prestigieux et une tradition d’excellence universitaire, avec notamment des prix Nobel, et d’autre part un taux d’accès aux études supérieures (66%) inférieur de quatre points à la moyenne nationale, alors même que la réussite au bac atteint 87%, soit deux points de plus que la moyenne du pays.

Comment expliquez-vous cette relativement faible proportion de poursuite d’études ?

En Alsace, il y a une vraie tradition d’apprentissage et de formation professionnelle courte. L’idée du bac professionnel puis de l’insertion professionnelle après le bac est très vivante, alors qu’il est possible de continuer en BTS. J’observe aussi des blocages du côté des familles, avec, notamment, une méfiance à l’égard d’une formation longue. D’où, parfois, un choix jugé pragmatique en faveur d’un BTS ou d’un DUT, plutôt que d’un parcours universitaire. Il y a encore une méconnaissance de ce qu’est l’université et de la manière dont elle fonctionne, donc une peur.

Comment faites-vous reculer la « peur » de l’université et des études longues ?

Nous mettons l’accent sur la liaison « bac-3/bac+3 », avec des actions permettant aux lycéens d’avoir une meilleure connaissance de l’enseignement supérieur. Depuis 2012, par exemple, des doctorants animent des travaux pratiques scientifiques avec des lycéens, dans le cadre d’OpenLab. Un autre programme leur permet d’assister à des cours à l’université, en immersion. Dans le même esprit, 14 établissements de l’enseignement supérieur – comme l’INSA ou l’IEP – sont liés à 36 lycées de la région.

Quid des lycées professionnels ?

Ils travaillent également en lien avec des classes préparatoires industrielles et des établissements accueillant des BTS. À propos des bacs professionnels, nous avons observé en 2013 une baisse de 25% de leur orientation vers une licence 1 à l’université. C’est très intéressant car notre objectif est qu’ils évitent la faculté. Leurs chances d’y réussir tournent autour de 4% et ils y vont souvent faute d’avoir été pris en BTS.

Aujourd’hui, un petit quart de nos bacs pro va en BTS. Je veux porter ce chiffre à 30% en 2016. Nous avons déjà commencé le travail avec les proviseurs pour fixer des seuils minimaux de bacs pro à accueillir à la rentrée 2014, pour chaque spécialité de chaque filière. Nous tenons compte des spécificités du vivier de chaque spécialité et chaque filière pour que cela se fasse en douceur. Et le même travail est mené pour favoriser la poursuite d’études des bacheliers technologiques en DUT.

Carte de l'académie de Strasbourg © Rectorat de StrasbourgQuels sont les secteurs géographiques les moins bien lotis en termes de poursuite d’études ?

C’est actuellement dans la partie de l’académie située au nord de Haguenau que le taux de poursuite d’études est le plus faible [la ville est située à une trentaine de kilomètres de Strasbourg, et l’académie s’étend encore à une quarantaine de kilomètres au nord de Haguenau, ndlr].

Nous allons développer l’offre de proximité en ouvrant, par exemple, une classe préparatoire technique [TSI, ndlr] à Haguenau à la rentrée 2014. Cela découle d’une enquête précise menée en amont et incluant les demandes de chefs d’entreprise de la région. Pour l’instant, dans cette ville, il y a principalement un IUT, qui compte environ 400 étudiants. À titre de comparaison, il y a 1.300 étudiants à l’IUT de Colmar. Globalement, l’offre de formation postbac est concentrée sur Strasbourg, pour le nord de la région, et, au sud, à Colmar et Mulhouse, avec l’université de Haute-Alsace et ses 8.000 étudiants.

L’offre strasbourgeoise de formation ne fait-elle pas de l’ombre à Colmar et Mulhouse ?

Sur 69.000 étudiants dans l’académie, Strasbourg en compte 44.000. Mais Mulhouse et Colmar restent des pôles d’attraction forts au sud de la région, du fait des spécificités des formations proposées. Mulhouse a, par exemple, une vraie tradition autour de l’automobile ou encore une école de chimie très importante.

Dans une logique transfrontalière, on y trouve également une formation novatrice des cadres bilingues franco-allemands, voire trilingues, avec l’anglais en plus. Quant à Colmar, elle propose des formations postbac « classiques » dans son IUT ou en BTS.

L’enjeu est de trouver un nouvel équilibre dans une stratégie de site sur une région et plus seulement d’universités stricto sensu

La fusion des trois universités de Strasbourg, en 2009, n’a-t-elle pas encore renforcé son poids par rapport à l’université de Haute-Alsace ?

Je n’étais pas encore là au moment de la fusion, mais il faut rappeler que sa logique était de rendre l’offre plus visible. À l’international, notamment, la carte universitaire française n’était pas lisible. La question se posait de savoir pourquoi il y avait trois universités à Strasbourg, alors qu’il n’y en a qu’une à Shanghai.

À l’échelle académique,  l’enjeu est de trouver un nouvel équilibre dans une stratégie de site sur une région et plus seulement d’universités stricto sensu. Cela a déjà permis, par exemple, la mise en place de laboratoires communs entre différents sites, ou encore la mutualisation de services d’aides aux étudiants. Dans de nombreux cas, y compris négocier des tarifs culturels avantageux pour les étudiants, une seule grosse université pèse plus que trois plus petites.

L’université de Strasbourg a aussi une école de management, l’EM Strasbourg. C’est la seule en France à être rattachée à l’université…

L’appartenance de l’école au campus profite à tous les acteurs. L’université, à laquelle on reproche souvent de rester dans le théorique et de ne pas s’intéresser au concret de l’insertion professionnelle des étudiants, bénéficie des relations de l’école avec les entreprises. Le corps enseignant passe facilement de l’université à l’École de management. Les étudiants de l’EM, quant à eux, ont accès à la recherche, en économie par exemple, et ils ont également la possibilité de suivre un cursus en philosophie en plus du management, ou l’inverse.

Qu’aimeriez-vous le plus accomplir à la tête de l’académie de Strasbourg ?

Outre ce que j’ai déjà cité précédemment, j’évoquerais le développement du bilinguisme paritaire, c’est-à-dire de l’enseignement 50% en français et 50% en allemand dès le CP, voire en maternelle. Une soixantaine de nouvelles sections bilingues ouvriront à la rentrée 2014. J’y tiens, non seulement parce que je suis germaniste, mais aussi parce que l’apprentissage précoce des langues entraîne un apprentissage global plus facile des langues. Actuellement, en Alsace, 59% des enfants apprennent à la fois l’allemand et l’anglais dès la sixième. Enfin, la carte de l’éducation prioritaire est à repenser. Certaines zones rurales ont été oubliées.

Isabelle Maradan Publié le 01.04.2014 à 13H54, mis à jour le 03.04.2014 à 21H50

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