Luc Chatel: «Il n’est pas question de remplacer la maternelle par des jardins d’éveil»

Luc Chatel, le ministre de l'Education nationale, le 7 juin 2010Luc Chatel, le ministre de l’Education nationale, le 7 juin 2010 WITT / SIPA

INTERVIEW – Le ministre de l’Education fait le bilan de l’année écoulée et détaille les dossiers de la rentrée…

Les résultats définitifs du bac sont tombés, les élèves du primaire et du secondaire sont partis en vacances, l’heure est au bilan pour le ministre de l’Education nationale. En déplacement ce vendredi dans les Bouches-du-Rhône pour signer une convention avec le Centre des monuments nationaux dans le cadre de la réforme des lycées, Luc Chatel revient sur les grands chantiers de l’année écoulée et fait le point sur les grands dossiers de la rentrée. Interview.

Vous aviez placé la rentrée 2009 sous le signe du dialogue. Avez-vous réussi à vous faire entendre de la communauté éducative, dont les rapports avec votre prédécesseur ont été houleux?
J’avais des réformes importantes à mettre en place. Tout au long de l’année, j’ai donc privilégié une méthode de concertation et de dialogue permanent. J’ai reçu à de nombreuses reprises les organisations syndicales mais aussi les fédérations de parents d’élèves et les organisations lycéennes, sur la réforme du lycée notamment. Cette réforme a d’ailleurs été approuvée par une majorité de ces dernières et validée par le Conseil supérieur de l’Education.

Elle a pourtant fait grand bruit, en particulier sur la disparition de l’histoire-géographie en terminale S…
Il y a eu une certaine volonté de caricaturer ce que nous faisions et surtout beaucoup d’incompréhension. L’objectif est de mieux répartir dans le temps les connaissances et que les terminales puissent se concentrer davantage sur leurs disciplines à fort coefficient. En revanche, en première, le nombre d’heures d’histoire-géographie passe à quatre heures.

Un mouvement de grève est d’ores et déjà prévu le jour de la rentrée. C’est assez inhabituel, non?
Oui, c’est assez rare. Les manifestations et les grèves font partie des moyens d’expression. Mais je fais confiance au sens des responsabilités et au professionnalisme des enseignants.

Ces derniers sont concernés par un autre chantier important de la rentrée: la réforme de leur formation. Vous avez vous-même reconnu que c’était un dossier «difficile». Pourquoi?
Tout changement est compliqué à organiser, d’autant qu’il s’agit là d’une année de transition. Mais cette réforme, c’est un message positif que nous envoyons aux enseignants et aux parents d’élèves. En pleine crise, on allonge la formation d’une année, en l’améliorant et en la renforçant. Ce qui entraîne une revalorisation financière de 10%, dont 200.000 professeurs en début de carrière vont bénéficier.

Malgré tout, beaucoup s’inquiètent du manque de formation professionnelle, les stages en responsabilité (seuls devant une classe) n’étant pas obligatoires en master 2, contrairement à la deuxième année d’IUFM. Pourquoi ne pas les avoir rendus obligatoires?
Ce n’est pas interdit d’améliorer le dispositif l’année d’après, on fera un bilan. En attendant, les étudiants auront au moins des stages d’observation et de pratique accompagnée et on organisera des stages de pré-rentrée.

Certains pointent aussi le manque d’encadrement…
Il y aura un «compagnonnage» renforcé jusqu’à la Toussaint, qui va leur apporter beaucoup. Et les enseignants titulaires seront aux côtés des stagiaires toute l’année.

L’autre dossier délicat de la rentrée, c’est la suppression des effectifs, 16.000 cette année ainsi qu’en 2011. Vous avez déclaré qu’ils seront trouvés «sans problème». Où ça?
Je n’ai pas dit que c’était «sans problème». Ce que je voulais dire, c’est que ça n’entraînera pas de difficultés dans l’offre éducative. On applique les règles de non renouvellement d’un fonctionnaire sur deux. L’Education, premier budget de l’Etat, ne peut s’en exonérer. C’est pourquoi j’ai voulu que nos cadres, inspecteurs d’académie, recteurs… soient associés à cette démarche.

Parmi les pistes à l’étude, figure notamment l’augmentation du nombre d’élèves par classe. Pourtant, il est plus élevé en France que la moyenne de l’OCDE*. Et plusieurs études ont prouvé que la réduction de la taille des classes avait un impact significatif sur les acquis des élèves…
Pas toutes, les études sont contradictoires. Et puis on ne peut pas raisonner en termes de moyenne nationale sur les effectifs par classe, ça ne veut rien dire. Si je voulais être provocateur, je dirais que 35 élèves dans un lycée parisien réputé, ce n’est pas un problème alors que 22 dans un collège de zone éducation prioritaire, cela peut l’être. Il faut aller vers une différenciation des moyens, comme l’a d’ailleurs préconisé la Cour des comptes. Dans le cadre de la réforme du lycée, par exemple, nous allons mettre en place un système d’apprentissage des langues par groupes de compétences homogènes car il a été prouvé que les élèves apprennent mieux dans ces conditions.

Le rapport de la Cour des comptes, comme celui de l’Institut Montaigne, tirait la sonnette d’alarme sur l’état de l’école française et attirait notamment l’attention sur le primaire, dont le budget est moins important que celui du lycée, alors que c’est là où  l’échec scolaire se met en place. Avez-vous pu déjà tirer un bilan de la réforme Darcos (deux heures de soutien scolaire et réforme des programmes)?
Nous n’avons pas de bilan complet à ce jour. Mais à travers les évaluations, nous avons pu constater un très léger frémissement du niveau. Je partage les orientations de la Cour des comptes mais ses conclusions ne prennent pas encore les effets de la réforme du primaire. Par ailleurs, les efforts se poursuivent. Nous avons mis en place un dispositif de lutte contre l’illettrisme en maternelle, avec un correspondant par département et par académie.

La maternelle reste donc importante à vos yeux? Certains parents d’élèves s’inquiètent du fait qu’inscrire son enfant avant l’âge de trois ans révolu est de plus en plus difficile et craignent que les jardins d’éveil ne finissent par remplacer la maternelle. Que leur répondez-vous?
Il n’est pas question de remplacer la maternelle par des jardins d’éveil. La maternelle, c’est une des réussites de notre système éducatif, beaucoup de choses s’y passent. Mais comme le prévoient les lois Jospin et Fillon, les inscriptions avant l’âge de 3 ans sont réservées aux zones d’éducation prioritaire et aux zones rurales isolées. Après, c’est en fonction des places disponibles. La maternelle, ce n’est pas une garderie.

Vous avez mis un accent particulier sur la sécurité à l’école cette année, en lançant des Etats généraux. Pour quelle raison?
C’était un chantier de fond. L’école est le reflet de notre société mais il faut faire en sorte qu’elle soit un lieu pacifié et qu’on n’y importe pas des éléments de violence extérieurs.

Avez-vous eu déjà des retours par rapport au «doublement des effectifs» des équipes mobiles de sécurité dans certaines académies?
Oui, nous avons de très bonnes remontées, alors que les avis étaient très réservés au départ. Elles se sont totalement intégrées dans le dispositif, en prévention ou après un évènement. Nous avons vraiment cherché à mettre en place une politique globale de lutte contre la violence, avec la sécurisation des établissements au cas par cas mais aussi avec la formation des futurs enseignants et aussi des chefs d’établissements. Ils ont suivi un séminaire de gestion de crise, avec des jeux de rôle. J’ai par ailleurs commandé un rapport au criminologue Alain Bauer sur les sanctions à l’école et toute une réorganisation du dispositif doit être présentée à la rentrée au Conseil supérieur de l’éducation. L’objectif est d’en finir avec l’exclusion et de proposer des sanctions progressives et éducatives, comme des travaux d’intérêt général au sein du lycée.

La lutte contre l’absentéisme scolaire, elle, passe par une sanction financière. Etes-vous convaincu que traiter cette question en touchant  au portefeuille des Français va régler le problème?
L’absentéisme est un vrai fléau avec 7% d’élèves concernés. Mais la suspension des allocations familiales, qui sont restituées en cas de retour à la normale, n’est pas le seul outil. Nous avons aussi créé 5.000 postes de médiateurs scolaires pour faire le lien avec les parents.

Il n’y a pas que les élèves, d’ailleurs, qui soient concernés par l’absentéisme. Les enseignants aussi. Récemment, 132 recours ont été déposés au tribunal administratif de Montreuil pour protester contre les non-remplacements d’enseignants absents. Allez-vous prendre des mesures à ce sujet?
Oui, nous revoyons complètement le système de remplacement à la rentrée. Pour commencer, nous mettons fin au délai de carence qui était de 14 jours. Dès le premier jour, le principal peut faire une demande auprès du responsable des remplacements dans son académie. Chacune d’entre elles devra disposer d’un vivier complémentaire de remplaçants, des contractuels qui pourront être de «jeunes» enseignants retraités, ou des étudiants en fin d’études qui se destinent à l’enseignement.

Ne craignez-vous pas les critiques sur la qualité des remplacements, assurés par des étudiants non diplômés?
On ne peut pas me reprocher que les étudiants n’aient pas assez d’expérience alors qu’il n’y a pas assez de remplaçants! On va aussi assouplir le système inter-académique afin qu’un professeur de maths disponible dans l’académie de Versailles par exemple puisse effectuer un remplacement dans l’académie de Paris.

Les élèves sont en vacances mais celles-ci seront peut-être bientôt réduites. Où en sont les travaux du comité de pilotage de la Conférence nationale sur les rythmes scolaires?
Il s’est réuni de nouveau fin juin et ses travaux vont reprendre à la rentrée. Je vais me rendre au Danemark pour étudier l’organisation des rythmes scolaires dans ce pays.


* 22,6 élèves par classe en primaire et 24,3 dans le secondaire en France en 2007, contre 21,4 et 23,9 élèves en moyenne dans l’OCDE, l’organisation de coopération et de développement économiques.

Propos recueillis par Catherine Fournier

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