Édition Bilinguisme et religion de 1918 à nos jours

Dans son dernier ouvrage « Bilinguisme et religion à l’école, l’Alsace divisée », l’ancien instituteur et inspecteur de l’Éducation nationale, Jean-Marie Gillig appelle à ouvrir un débat serein sur l’avenir de notre école.

La question de la religion à l’école, qui est un des thèmes de la campagne présidentielle, a une résonance particulière en Alsace. Un particularisme souvent incompris dans le reste de la France.

J-M Gillig : « Il y a toujours eu cette incompréhension avec des poussées de fièvre. Le malaise a commencé à se créer en 1918. Après l’euphorie, les Alsaciens ont comparé la situation de la France et celle de l’Allemagne.

L’enseignement religieux est obligatoire en Alsace depuis une ordonnance de 1871. En 1924, Édouard Herriot, le candidat du Cartel des gauches devenu président du conseil a mis le feu aux poudres en annonçant son intention d’introduire des lois laïques en Alsace. L’évêque M gr Ruch a organisé la résistance avec la Ligue des catholiques d’Alsace. Le Conseil d’État a donné tort à Édouard Herriot. En 1926, les autonomistes ont utilisé la question confessionnelle et le bilinguisme et ont occupé le devant de la scène jusqu’en 1938.

Il y a eu deux autres soubresauts. En 1933, sous le gouvernement Daladier, le sous-secrétaire d’État Guy La Chambre a envoyé une circulaire au recteur de Strasbourg afin de simplifier la procédure de dispense de l’enseignement religieux. La dispense devait être demandée au sous-préfet.

Puis en 1936, Léon Blum a prolongé la scolarité de 13 à 14 ans, ce qui était déjà le cas en Alsace pour les garçons. Mais les élèves alsaciens avaient quatre heures de religion et trois heures d’allemand, donc il fallait leur donner plus. Un décret est sorti afin de prolonger la scolarité des filles jusqu’à 14 ans et celle des garçons jusqu’à 15 ans. Face aux protestations des catholiques et de l’UPR qui ne voulaient pas de cette neuvième année de scolarité, Léon Blum leur a demandé de choisir entre cette neuvième année et l’introduction des lois laïques. Les opposants ont dénoncé un chantage. Mais le conseil d’État a donné tort à Léon Blum. »

– Aujourd’hui, la question de la religion à l’école se pose en termes différents en Alsace.

– « La pratique religieuse est en décroissance constante et le pourcentage d’élèves qui participent au cours de religion à l’école ne cesse de diminuer. Le taux de participation à l’école élémentaire était de 71 % en 2006-2007. En 2010-2011, ce taux est tombé à 63 %, avec une érosion plus forte dans le Haut-Rhin où le taux de participation est inférieur à 60 %. À Mulhouse, ce taux est compris entre 17 et 23 %, à Strasbourg, il est de 33 %. En cinq années, la baisse a été énorme.

De moins en moins d’élèves participent au cours de religion

Dans les collèges, le taux de participation est tombé à 31,2 % et dans les lycées, il n’est plus que de 13,8 %. Il faut noter cependant une petite remontée du taux de participation dans les lycées qui peut s’expliquer par l’introduction de l’éveil culturel et religieux.

Mais au vu des chiffres, l’enseignement religieux a perdu de son souffle et je mets des points d’interrogations sur son devenir. De nombreuses personnes disent que la paix religieuse et la paix scolaire ont été trouvées en Alsace et ils n’ont pas tort. Il y a la paix, mais il y a les vainqueurs et les vaincus. L’opinion publique ne le sait pas encore, mais l’idée laïque qui était en sommeil depuis longtemps en Alsace connaît une renaissance. Le Cercle Jean-Macé, la Ligue de l’enseignement…, essayent de rendre l’heure de religion optionnelle en faisant glisser cette heure intégrée hors des 24 heures d’enseignement hebdomadaire.

L’enseignement religieux, qui était de quatre heures en 1944, a été progressivement réduit. En 1974, il a été ramené à une heure hebdomadaire et les instituteurs ont obtenu le droit de ne pas donner cet enseignement. C’est le dernier aménagement du statut scolaire local, plus rien n’a changé depuis le décret ministériel du 3 septembre 1974.

Si une dispense est nécessaire pour ne pas assister au cours de religion, c’est qu’il est obligatoire. J’appelle cela de la discrimination

En 2001, 96 % de la population alsacienne se déclarait attachée au droit local dans un sondage des DNA. C’est le dernier chiffre connu. Néanmoins, le message est souvent brouillé et de nombreux parents se demandent si l’enseignement religieux à l’école est obligatoire ou facultatif.

Si une dispense est nécessaire pour ne pas assister au cours de religion, c’est qu’il est obligatoire. J’appelle cela de la discrimination, car cette dispense oblige à révéler de manière négative que l’on n’est pas croyant. Une situation similaire a été portée devant la Cour européenne des droits de l’homme par des Polonais. La Cour de Strasbourg a estimé que cela constituait une discrimination.

« Apprendre l’allemand ne doit pas être une obligation de fait »

La décroissance continue de la participation des élèves à cette heure de religion interpelle. Cela mérite l’ouverture d’un débat auquel il faut participer. Le statut scolaire local ne doit pas être abrogé, mais être aménagé. Il est comme un arbre avec des branches mortes, il n’y a plus de prière à l’école, plus d’école confessionnelle et l’enseignement religieux n’a plus beaucoup de sève. »

– Par contre, l’enseignement de l’allemand à l’école ne cesse de progresser.

– « En 1920, le recteur Sébastien Charléty a réintroduit l’enseignement de l’allemand à l’école. Après la Seconde Guerre mondiale, en 1952, un enseignement facultatif de l’allemand a été remis dans les deux dernières années de l’école élémentaire.

En 1985, le recteur Pierre Deyon a donné une définition scientifique de la langue régionale. La langue régionale est le dialecte dont la version écrite est l’allemand. L’allemand est une langue régionale de France. Puis en 1991, le recteur Jean-Paul de Gaudemar a commencé généraliser l’enseignement précoce de l’allemand.

Dans le même temps, la pratique du dialecte n’a cessé de chuter. À la rentrée 1993, selon une enquête de la MAERI, 19 % des enfants âgés de six à onze ans étaient dialectophones et 17,4 % des enfants âgés de trois à onze ans, c’est-à-dire que plus les années passent, moins l’on parle alsacien.

Aujourd’hui, 75 % des élèves du premier degré et 99 % des élèves de cours moyen suivent un enseignement extensif de l’allemand de deux heures hebdomadaires. De fait, cet enseignement est obligatoire, on ne peut pas faire autre chose, alors qu’aucun texte ministériel en France n’oblige à faire de l’allemand à l’école. S’il est bien que l’on fasse de l’allemand à l’école, cela ne doit pas être une obligation de fait.

Ces derniers temps, le débat a porté sur la voie bilingue paritaire, qui touche 10,5 % des élèves du premier degré et 4 % des élèves du collège. Selon les statistiques du rectorat, 62 % de ces élèves appartiennent aux catégories socioprofessionnelles favorisées à très favorisées, cela signifie que ce système bénéficie à 10 % d’une population, ce qui va à l’encontre du principe d’égalité des chances. Selon des discours militants, il faut aller plus loin dans la voie paritaire, mais je ne suis pas sûr que cela corresponde à la demande. L’Éducation nationale fait correspondre l’offre à la demande. Ce qui est bien en Alsace, c’est que l’on peut apprendre à la fois l’allemand et l’anglais en bilangue en collège, un enseignement suivi par plus de 50 % des sixièmes et cinquièmes. Tout le monde peut apprendre l’allemand pour qui a envie de l’apprendre.

par Propos recueillis par Jean-François Clerc, publié le 16/03/2012par DNA

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