La lente transformation du lycée général et technologique

La réforme du lycée a les encouragements du jury. Des “encouragements”, pas plus… Présenté lors d’une conférence de presse vendredi 9 mars au ministère de l’éducation nationale, le deuxième rapport de suivi des inspections générales montre que si “le processus de la réforme est réellement engagé” dans tous les lycées généraux et technologiques – à quelques exceptions près -, celle-ci suscite encore beaucoup d’“interrogations”, de “réticences” voire de “désarroi”. “Cette réforme induit des transformations si profondes qu’elle a besoin de temps”, estime Jean-François Cuisinier, rapporteur de la mission au côté de Catherine Moisan.

Avec une équipe de 25 inspecteurs généraux de l’éducation nationale et de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, les deux rapporteurs ont visité 40 lycées dans sept académies, rencontré 400 enseignants et presque autant d’élèves, observé 120 séances d’accompagnement personnalisé, pour mesurer les effets et l’avancement de la réforme du lycée. Initiée par le ministre Luc Chatel à son arrivée Rue de Grenelle, à l’automne 2009 – après la tentative ratée de son prédécesseur Xavier Darcos -, elle a été mise en place en classe de seconde à la rentrée 2010, en première à la rentrée 2011. En septembre, ce sera au tour de la terminale.

Sauver la série L. L’un des objectifs de la réforme est de “rééquilibrer” les trois séries scientifique (S), littéraire (L) et économique et social (ES), au profit d’une série L que les inspections générales estimaient, en 2007, être “menacée d’une extinction rapide”. De ce point de vue, l’avancée est timide, mais réelle : 10,2 % des élèves de la nouvelle seconde l’ont choisi à la rentrée 2011, contre 9,5 % ces cinq dernières années. “C’est un début de tendance qu’il faudra confirmer par la suite”, prévient Catherine Moisan.

La série S garde sa prédominance. “Elle est toujours, aux yeux des élèves et de leurs famille, la filière des bons élèves, celle qui ouvre toutes les portes”, relève l’inspectrice générale. Les candidats à la série S sont chaque année plus nombreux : un tiers des élèves de seconde l’ont choisi en 2011 (32,6 %), contre 29,1 % en 2006. Quant à la série ES, elle continue également son ascension et a attiré, l’an dernier, près d’un élève sur cinq (19,5 %).

La grande inquiétude des inspections générales porte sur la série “sciences et technologie de l’industrie et du développement durable” (STI2D). La chute de ses effectifs est stoppée, mais la filière n’attire que 5,3 % des élèves de seconde. Soit un taux inférieur à ceux de 2006, 2007 et 2008 (5,6 %). Celle-ci bénéficie d’une image ancienne, “on la confond encore avec la voie professionnelle”, note Mme Moisan. “Or, elle n’est plus professionnalisante, mais vise la poursuite d’études.”

Accompagnement personnalisé. “Inégaux et encore fragiles” : c’est ainsi que sont définis, dans le rapport, les débuts de l’accompagnement personnalisé (AP), que tous les élèves suivent à raison de deux heures par semaine. Les pratiques et les organisations horaires varient fortement d’un établissement à l’autre. Rien d’étonnant, puisque “ce dispositif a été défini en creux”, note Catherine Moisan. Certaines pratiques sont applaudies par les inspections générales, comme celles visant à développer des compétences disciplinaires et transversales – prendre des notes, savoir lire un graphique, prendre la parole à l’oral… D’autres sont dénoncées, en particulier celles qui reviennent à donner des “cours déguisés”.

Les autres dispositifs prévus par la réforme – le tutorat, les stages de remise à niveau, les stages passerelles pour les élèves qui souhaitent changer de séries en cours de route – sont rares, si ce n’est inexistants.

Pratiques professionnelles. Si les nouveautés de la réforme peinent à s’installer, c’est parce qu’elles “touchent aux repères traditionnels des enseignants”, lit-on dans le rapport : notes, conseils de classe, programmes qu’il faut “boucler” à tout prix… La réforme implique d’autres missions (accompagnement personnalisé, travail en équipe, conception des enseignements d’exploration, participation aux conseils…), d’autres pratiques pédagogiques que celle du cours magistral. Et heurte ainsi l’identité professionnelle des enseignants.

“Nous avons rencontré trois catégories d’enseignants, précise Mme Moisan. Des professeurs moteurs, convaincus de la nécessité de cette évolution ; d’autres qui en ont conscience, mais ont besoin d’être accompagnés. D’autres, enfin, totalement réfractaires à ce changement, qui considèrent qu’ils détiennent un savoir et qu’il suffit de parler pour le transmettre.”

Autonomie. En conclusion, les inspections générales émettent plusieurs conditions pour que “la dynamique [de la réforme] ne retombe pas comme elle est si souvent retombée dans l’histoire du système éducatif”. Parmi elles, continuer à accompagner les établissements, mais “sans tomber dans le prescriptif” ; expliciter, clarifier, donner du sens à la réforme ; évaluer ses effets et “mutualiser l’offre” des établissements de façon à éviter que les écarts entre eux ne se creusent.

De fait, si l’autonomie grandissante que la réforme du lycée a accordé aux établissements renforce leur “identité”, “elle renforce aussi la concurrence entre eux”, relèvent les inspecteurs. Cela est d’autant plus vrai dans les zones en baisse démographique, “où chacun se bat pour recruter ses élèves”.

Aurélie Collas, LE MONDE, 9/3/2012

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